Interview du Dr Jennifer Arrondeau, oncologue médical, à Cochin et médecin du sport, à l’Hôtel-Dieu. 


Pourquoi cette double spécialité ?

L’activité physique me tient à cœur depuis longtemps, avant même d’être oncologue. Puis en tant que médecin, il existe aujourd’hui de nombreuses publications scientifiques qui démontrent que l’activité physique a des bénéfices en termes de prévention de certains cancers, ou de récidives, mais aussi en termes de qualité de vie des patients. La fatigue est un symptôme prédominant chez les patients suivis en oncologie, à la fois pendant les traitements mais également à distance de ces derniers. Le seul moyen reconnu aujourd’hui pour diminuer cette fatigue est l’activité physique. 

Il est aujourd’hui bien identifié que la sédentarité ou le manque d’activité physique et la baisse de masse musculaire des patients réduisent la tolérance des traitements, la qualité de vie, et parfois l’efficacité des traitements…  J’ai passé des diplômes pour être médecin du sport afin d’avoir des notions plus précises. Puis, je suis allée plus loin pour intégrer un service dédié à l’Activité Physique Adaptée (APA), avoir d’autres habilitations comme faire passer des épreuves d’effort afin d’optimiser les programmes d’activité physiques adaptées à chaque patient. A côté du service d’oncologie de Cochin, je travaille donc dans le service de médecine du sport de l’Hôtel-Dieu. Une plateforme de réhabilitation par le sport a été ouverte et s’adresse à des patients qui ont des pathologies chroniques avec une part importante de patients suivis pour des cancers. 

À Cochin, nous avons également une enseignante d’APA à plein temps dans le service d’oncologie. Nous essayons de structurer l’activité. Elle voit les patients de Cochin en cours de traitement qui ne peuvent pas forcément intégrer des programmes comme celui de l’Hôtel-Dieu. 

 

Justement, en quoi consiste ce programme ?

Le programme de réhabilitation par le sport est hospitalier. Il en existe peu en France pour l’instant, mais ils se développent de plus en plus. Il dure six semaines. Avant de commencer, un bilan assez complet de la condition physique des patients, avec une épreuve d’effort notamment, est réalisé. Comme les sportifs de haut niveau, nous installons les patients sur un vélo avec un contrôle de l’électrocardiogramme, et un masque pour analyser les échanges gazeux. Cela nous permet d’une part d’être sûr qu’il n’y a pas de contre-indication à l’activité physique, notamment cardiologique, et d’autre part l’analyse des échanges gazeux, nous permet de faire des calculs pour savoir comment faire travailler les patients, de façon adaptée à chacun. Ils font ensuite des tests avec les enseignants d’APA de souplesse, de force, d’endurance, d’équilibre et ils remplissent des questionnaires de qualité de vie. Ils ont aussi une mesure de la composition corporelle (masse maigre, masse grasse, densité osseuse) avec un examen radiologique appelé une absorptiométrie biphotonique. 

Enfin, nous leur remettons un boîtier appelé un actimètre à garder à la ceinture une semaine pour évaluer leur activité physique de base avant de participer à ces programmes. Durant le programme, ils viennent trois fois par semaine. 

 

Et concrètement ? 

Les séances durent 1h30 avec d’abord des exercices collectifs par petits groupes de six maximum. L’objectif est d’être ludique et de faire travailler l’organisme de façon globale et adaptée à chacun. La deuxième partie est centrée sur du cardio-respiratoire, avec un programme sur ergocycle. En plus, des séances d’éducation thérapeutique sont organisées une fois par semaine. Actuellement, nous essayons d’intégrer les volets nutrition et psychologique. À la fin des six semaines, nous refaisons le bilan complet pour le comparer à celui du début.   

Nous le refaisons également six mois et 12 mois après pour évaluer la continuité de l’activité physique. C’est presque le plus gros challenge. Durant le programme, les enseignants d’APA élaborent un projet de poursuite de l’activité physique avec chaque patient selon le lieu d’habitation, les limitations physiques, et le goût de chacun. Des associations viennent aussi à l’Hôtel-Dieu pour faire des séances découvertes de différents sports (tennis, golf, pétanque, tir à l’arc, escrime…). 

Le programme a ouvert fin 2016 et s’adresse à des patients à tout stade de la maladie. Nous essayons de les voir rapidement après la fin des traitements, pour essayer d’accélérer leur récupération même si cela dépend bien sûr des traitements qu’ils reçoivent, de la tolérance de ces traitements. Nous nous adaptons à eux.  

 

Quels bénéfices avez-vous identifiés ? 

La majorité des patients ont un bénéfice physique qui se maintient le plus souvent six mois et un an après. Il est identifié dans ce programme mais aussi dans la littérature scientifique des bénéfices en termes de qualité de vie, de fatigue. Il s’agit de la seule approche non-médicamenteuse qui réduit la fatigue et qui peut avoir des effets sur le contrôle de certaines maladies. De plus, elle permet aux patients d’être acteurs de leur prise en charge. 

Dans le programme, nous voyons chez la majorité des patients un bénéfice dans l’ensemble des paramètres que nous mesurons. Nous avons encore du mal à rapporter de façon précise qui poursuit une activité physique et à quelle fréquence mais nous constatons que les patients changent beaucoup leur façon de vivre. Ils marchent plus, prennent moins les escaliers mécaniques, sont plus actifs.  

 

Globalement, vous sentez une reconnaissance de la part des professionnels sur l’importance de l’APA ? 

Oui mais depuis peu. Le 1er APA du service d’Oncologie à Cochin a été recruté en 2012, ce qui était assez précoce en la matière. Il y a une méconnaissance malgré le nombre de données probantes sur les bienfaits de l’APA en oncologie. Cette reconnaissance passe encore aujourd’hui plus par les patients, par leurs retours enthousiastes à la participation à ce genre de programmes ou d’autres activités extra hospitalières proposées par des associations notamment. De plus en plus, les médecins reconnaissent cette valeur ajoutée. L’activité physique sur ordonnance a sensibilisé les professionnels mais cela reste encore difficile à mettre en œuvre. 

 

Quels conseils donnez-vous aux patients qui veulent se bouger ?  

Le premier serait de se déculpabiliser. L’activité physique telle que nous en parlons n’est pas que du sport. Il faut partir de ce qu’on aime faire et à son rythme. L’important est qu’il y ait un effort physique. D’une part, il s’agit de limiter la sédentarité, de ne pas rester assis plus d’une heure, de marcher. D’autre part, il y a une notion de fréquence et d’intensité. Les bienfaits de l’APA sont notamment démontrés pour des efforts qui nous mettent à la limite de l’essoufflement. Cela peut être jardiner, faire le ménage, marcher sur la plage… Ces activités entrent déjà dans les recommandations.  

Ensuite il est important de faire cela régulièrement, dans les recommandations il est dit ne jamais laisser 2 jours consécutifs sans activité physique. Mais cela doit évidemment être adapté à chacun, et encadré en fonction des pathologies des patients et de leur condition physique. Et le programme de l’Hôtel-Dieu ne correspond pas forcément à tout le monde. L’offre est tout de même plus large aujourd’hui, notamment grâce à des associations, ou des clubs de sports. Le plus difficile aujourd’hui est l’orientation de chaque patient mais cela progresse bien heureusement !

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