Interview du Dr Sofia Rivera, oncologue radiothérapeute, Chef de service de radiothérapie à Gustave Roussy
Quelle est votre pratique de la radiothérapie hypo-fractionnée ?
Elle met du temps à s’implémenter en France. A Gustave Roussy, nous avons vu l’opportunité pour les patients d’avoir des traitements moins lourds et pour les services de libérer de la place sur les machines pour d’autres patients traités. L’intérêt majeur est d’ailleurs sociétal. Les patients vont pouvoir retourner plus vite à leur vie et mettre de côté leur cancer avec moins de contraintes et déplacements pour leur traitement.
Nous y avons ajouté une innovation technique avec des logiciels basés sur l’intelligence artificielle qui permet de systématiser et d’accélérer tout le processus de préparation de la radiothérapie. En temps normal, la consultation avec le médecin, le scanner de simulation, le contournage et la première séance… tout cela pouvait déjà prendre des semaines.
Aujourd’hui, après la consultation et le scanner de préparation à la radiothérapie le contourage c’est à dire le dessin des volumes que l’on veut traiter et protéger est fait en temps réel par le logiciel tout en gagnant en homogénéité, robustesse et reproductibilité. Un médecin junior puis un senior valident. Nous avons codéveloppé un logiciel qui est commercialisé par ailleurs. D’autres sociétés proposent le même type de solution.
Nos physiciens médicaux ont créé des scripts informatiques pour positionner les faisceaux, calculer et moduler la dose selon le volume du sein et la zone à traiter. Tout cela est fait durant la même matinée, le lundi matin avant la première séance de radiothérapie. La cinquième séance se termine le vendredi avec la consultation de fin de radiothérapie.
Donc, dans la pratique, la patiente commence le lundi et finit son traitement de radiothérapie le vendredi qui suit !
Les effets secondaires sont-ils les mêmes ?
Intuitivement, nous avions la crainte que des doses plus fortes par séance créent des effets secondaires plus importants. Or, c’est même plutôt le contraire car la dose totale délivrée sur la semaine est biologiquement équivalente. Avec les techniques modernes, les effets secondaires sont moindres et le principal restant est la fatigue, d’abord liée aux allers-retours. Les rougeurs de la peau qui apparaissent environ 2-3 semaines après le début de la radiothérapie ne sont pas plus fortes. La différence est que la patiente n’est plus en radiothérapie à ce moment-là. Nous avons donc mis en place une consultation téléphonique pour vérifier la présence de rougeurs, prescrire une crème si besoin et accompagner la patiente.
Quelles sont les patientes concernées ?
Nous avons d’abord réservé la radiothérapie ultra hypo- fractionnée aux femmes ayant bénéficié d’une chirurgie conservatrice, qui n’ont pas besoin d’avoir un boost sur le lit chirurgical avec des marges de sécurité satisfaisantes, ménopausée de plus de 60 ans sans atteinte ganglionnaire, et pour l’instant sans chimiothérapie concomitante, ni immunothérapie. Ce cadre d’inclusion peut évoluer au fur et à mesure des connaissances.
Les données des essais sont extrêmement encourageantes cela fait un peu plus d’un an qu’on a implémenté ce schéma en routine et nous sommes en train de réévaluer l’ensemble des données de suivi des patientes, elles sont extrêmement rassurantes et les patientes sont extrêmement satisfaites.
Où en sont les recommandations de l’Institut National du Cancer ?
Les recommandations avaient été mises à jour juste avant les études anglaises. La version actuelle, sortie en octobre, n’en tient pas compte et nous espérons une mise à jour rapide. D’ici là, nous avons intégré la radiothérapie hypofractionnée dans les recommandations locales en Ile-de-France, SENORIF, partagé par Gustave-Roussy, l’Institut Curie, l’AP-HP et d’autres établissements publics et privés.
D’autres régions ont déjà intégré la pratique dans leurs recommandations. Plusieurs centres nous ont contactés ou sont venus se former comme l’AP-HM de Marseille ou l’Institut Bergonié de Bordeaux. Il n’y a donc pas encore de listes fiables d’établissements proposant cette pratique mais cela bouge assez rapidement donc le mieux est de dire aux patientes de contacter leur centre pour se renseigner.
Quels sont les freins ?
Un des freins est médico-économique. Pour l’établissement, la radiothérapie en France est rémunérée à la séance. 5 fois moins de séances rapportera 5 fois moins et de nombreuses structures sont déficitaires. Cela ne devrait pas être aux structures hospitalières de supporter cet impact économique. Une tarification au forfait, à la qualité, au parcours permettrait de proposer le traitement le plus adapté au patient sans cette contrainte. Une expérimentation avait été lancée sur le cancer du sein et de la prostate sans résultat pour l’instant.
D’ailleurs, au sein de grosses structures comme Gustave Roussy, cette réduction du nombre de séances permet de prendre en charge plus rapidement d’autres patients vu la demande mais sur un plus petit établissement, le manque à gagner peut-être net.
Crédit photo de Sofia Rivera @Gustave Roussy
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