Interview du Pr Jean-Pierre Lotz, Chef du service Oncologie Médicale Hôpital Tenon et fondateur de « Aquadémie Paris Plongée »


Pourquoi “se bouger” est important dans le cadre du traitement contre le cancer ? 

A minima, il est important que les patientes et les patients ne s’enferment pas dans l’univers carcéral de l’hôpital qui pourrait se prolonger à la maison. Le mot est un peu fort, j’en conviens. L’hôpital est bien pour se soigner mais une fois qu’on le quitte, entre les chimios, il faut passer à tout autre chose. Entre deux cycles de chimio, sauf fatigue particulière, il faut aller et venir, sortir, voir des amis, voire travailler et, en tout cas, tout faire pour ne pas rester à tourner en boucle dans sa chambre. 

Et ensuite, l’activité sportive en solo ou en groupe offre de nombreux avantages à commencer par penser à autre chose, échanger. L’APA apporte des bénéfices sur le corps, une saine fatigue, de l’appétit. Il peut s’agir d’activité physique adaptée, encadrée par des moniteurs diplômés APA mais les services d’oncologie médicale ne sont pas nombreux à le proposer et l‘organisation de l’APA au sein du service d’oncologie de l’Assistance publique de Paris est très artisanale. 

 

Depuis quand êtes-vous un défenseur de l’APA ? 

Déjà, en 87, mon co-chef de clinique, Thierry Bouillet, faisait faire du karaté à ses patients. De là, est née la CAMI, implantée aujourd’hui dans de nombreux services. Ils font un travail formidable. L’activité physique adaptée devrait être considérée comme un soin de support. Il s’agit bien ici d’APA. Dans le sport, il a une notion de compétition, de dépassement de soi plus forte. L’activité physique adaptée est souvent plus douce. Notre structure de soins de support, qui devrait voir le jour à Tenon, est basée sur le Chi Gong et le yoga. 

Cependant, nous sommes dans un monde hospitalo-universitaire, scientifique, basé sur les preuves et il y a encore trop peu de preuves d’un bénéfice thérapeutique. Les bénéfices décrits ne suffisent pas à convaincre tout le monde. Je pense qu’à peine la moitié des oncologues s’intéresse à l’APA. C’est aussi bien sûr un problème de moyens et de choix en termes de remboursement. 

D’où vient l’idée d’Aquadémie ? 

En 2009, j’étais à ma neuvième année de plongeur. J’étais le médecin d’un club « Les Hommes grenouilles de Paris ». Un jour, arrive devant mon bureau Jean-Louis Laporte, président de Tribu Cancer. L’idée a surgi de faire plonger les patients et nous avons créé « Aquadémie Paris plongée » pour leur faire découvrir la plongée, le monde marin, et préparer des patients au niveau I, soit être apte à descendre à 20 mètres de profondeur.  

Dix ans après, nous avons tout réorganisé pour aller plus loin, pour faire passer des niveaux II -40m- voire des niveaux III pour certains (60m) et nous avons ouvert l’accès aux patients en chimio. Je les sélectionne quand le bilan est bon en leur disant « Maintenant, on va passer aux choses sérieuses, on va plonger. » Ce changement a été un virage. La fédération de plongée nous a demandé d’intervenir auprès de moniteurs et d’instructeurs. En mars, nous avons eu un stand au Salon International de la plongée. Un grand moment ! En septembre, nous avons repris une nouvelle saison avec de nouveaux plongeurs ou nouveaux baptisés.  

 

Vous parliez de preuves. Avez-vous évalué la pratique ? 

Pas directement sur Aquadémie, mais nous avons monté un programme d’éducation thérapeutique de l’après-cancer immédiat pour des patients plutôt jeunes qui repose sur d’abord un bilan éducatif puis sur une série d’ateliers, d’abord d’APA, managé par un professeur d’éducation physique qui fut également un de nos patients. Le deuxième est un atelier diététique, « Des paillettes dans votre assiette », car réapprendre à manger est compliqué. Le premier groupe a rencontré Thierry Marx. Le programme est aussi composé d’un atelier psychologique, un autre social de réinsertion professionnelle et on termine par un baptême de plongée et plus si affinités.  

 

Aquadémie, c’est du sport ou de l’activité physique adaptée ? 

Discussion avec un mérou

La plongée est un sport. Après une heure, même dans les eaux chaudes, vous avez dépensé, claqué 500 calories. Après une activité qui compte trois plongées dans la journée, le soir, la position allongée est attendue avec impatience. Pour les patients potentiellement fatigués, c’est un vrai challenge. Nous formons une quinzaine de patients par an à un vrai niveau de plongée reconnu par les clubs extérieurs. Tous les encadrants sont bénévoles et les patients nous font confiance. « Ils plongent pour sortir la tête de l’eau ». 

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