Fin septembre, la Pre Frédérique Penault-Llorca, DG du Centre Jean-Perrin de Clermont-Ferrand a été élue par Forbes parmi les 40 femmes françaises les plus remarquables. Rencontre avec la seule femme directrice d’un centre de lutte contre le cancer et fervente représentante de l’anatomopathologie. Rencontre.

Félicitation pour ce classement et cette reconnaissance !

Merci. Je n’étais d’ailleurs pas au courant. Quelqu’un m’a apporté le magazine. Au départ, ce classement m’a beaucoup gênée, puis, je me suis dit que cela valorisait surtout le centre Jean-Perrin. C’est une reconnaissance du travail de toutes les équipes et une mise en lumière l’anatomopathologie.

 

Justement, qu’est-ce que l’anatomopathologie ?

C’est l’analyse des cellules pathologiques, malades. Il faut donc commencer par savoir à quoi ressemble une cellule normale, connaître les maladies et avoir une connaissance assez globale de la médecine. Concrètement, il nous est demandé de répondre à une série de questions en analysant des échantillons de tissus au microscope : Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que c’est bénin, précancéreux ou cancéreux ? Est-ce que c’est agressif ? Comment traiter ? Est-ce que tout a été enlevé ?

Une jeune interne est arrivée début novembre. Elle part de zéro. Je lui ai dit qu’au début, elle verrait des machins bleus, des petits ronds et mettra quelques mois à reconnaître les cellules normales avant de pouvoir identifier les cellules pathologiques, les grades, les marqueurs. Je lui ai montré une tumeur de l’ovaire chez une jeune fille de 18 ans, situation très rare, pour expliquer comment on gradait une maladie. Selon le grade, les conséquences thérapeutiques seront différentes. Fera-t-on de la chimio ? Une conservation de la fertilité sera-t-elle nécessaire ? Pourquoi faire une recherche de mutation BRCA ?

Au quotidien, sur notre microscope pendant des heures, on rentre en immersion dans les cellules. Une ou deux fois par semaine je rêve de cas, d’images de cas sur lesquelles je cale… Souvent cela me donne des idées au réveil et je pense à des pistes à explorer.

 

D’ailleurs, comment êtes-vous devenue anapath ?

Au-départ, je ne voulais pas forcément faire médecine mais de la philosophie. Mes parents, tous deux médecins, m’ont poussée pensant que «  la philosophie  ce n’était pas un métier ». Je me suis retrouvée en médecine, loin de chez moi à Clermont, dans un appartement. La liberté. Après un échec en première année, je me suis dit qu’il fallait bien faire les choses et me suis mise à travailler sérieusement. J’étais assez curieuse et plusieurs spécialités m’intéressaient. Très vite, je me suis rendue compte que j’aimais plus la démarche diagnostique que le geste technique.

Un ami de la promotion d’au-dessus m’a conseillé de suivre le module optionnel d’anapath. Pour la première fois, je voyais des cellules de près et le mécanisme des maladies. Cela m’a fasciné et j’ai décidé d’en faire mon métier (lui aussi d’ailleurs !). J’ai fait ma formation à Marseille, une des villes, alors, avec une école reconnue et j’ai commencé mon premier stage au centre de lutte contre le cancer Paoli-Calmette. Je suis de la promotion 86 de l’internat et j’ai obtenu mon diplôme de médecin spécialiste en pathologie en 1993 après deux ans à l’étranger et deux bébés.

C’était le début de l’anatomopathologie moderne. L’anapath était en général basé dans le sous-sol de l’hôpital. Il ne sortait pas trop du service, le nez dans son microscope. J’étais dans un service très dynamique avec celle qui m’a tout appris en pathologie mammaire, le Dr Jocelyne Jacquemier ; très visionnaire sur la place de l’anapath dans la prise en charge en oncologie mammaire. C’était le tout début du dépistage du cancer du sein.

 

Vous avez donc commencer votre carrière à Marseille ?

Oui, et pour parfaire ma formation, j’ai fait une thèse de biologie moléculaire, sur les potentielles cibles thérapeutiques de l’anapath et une formation complémentaire en cancérologie (DESC) pour comprendre les conséquences des diagnostics sur la prise en charge des patients. J’ai beaucoup travaillé sur les cancers du sein et les cancers du col de l’utérus, avec les premiers biomarqueurs. J’ai fait partie des premières générations de pathologistes moléculaires. Aujourd’hui, nos internes font systématiquement un stage en pathologie moléculaire au sein de leur cursus.

Puis, mon mari a eu un poste en psychiatrie à Clermont-Ferrand où nous avions tous les deux fait nos études de médecine. J’ai contacté le centre Jean-Perrin qui justement cherchait un anapath pour son équipe. Je suis donc revenue dans des conditions idéales dans le centre où j’avais été formée. Il y avait un tout petit laboratoire avec deux médecins et quatre techniciens. Nous sommes aujourd’hui six médecins, presque une trentaine de techniciens et deux ingénieurs.

En parallèle, j’ai commencé à travailler au sein d’Unicancer dans les essais cliniques. Le début des essais cliniques sur les biomarqueurs a été un grand tournant de la spécialité au début des années 2000 avec la médecine personnalisée et les thérapies ciblées. Dans le cancer du sein, l’anapath a changé complètement la vision des oncologues. Nous apportons des réponses beaucoup plus précises.

Comment êtes-vous arrivée à la tête du centre ?

J’ai commencé à m’investir dans l’hôpital, suis devenue présidente de la Commission Médicale d’Etablissement (CME), puis directrice médicale, puis directrice scientifique. Je ne pensais pas devenir un jour directrice de centre de lutte contre le cancer. J’avais trois enfants, une équipe de recherche. Je publiais beaucoup, m’occupais des étudiants. Je commençais à maîtriser mon sujet. En 2013, j’ai accepté de prendre la direction à la suite de Jacques Dauplat qui a été un directeur visionnaire. Je suis également élue au bureau de Unicancer, vice-présidente du groupe depuis 2015 et j’ai travaillé avec trois présidents. Je regrette d’ailleurs d’être la seule femme directrice d’un centre de lutte contre le cancer !

Je ne me suis pas coupée de la clinique. Je vais au laboratoire tous les jours pour lire les cas, le 2e avis en pathologie des cancers de la femme et je reste en lien avec l’équipe en cas de questions particulières. Je reste directrice adjointe d’une équipe INSERM IMoST sur les biomarqueurs et leur ciblage en oncologie.

 

Comment la spécialité évolue-t-elle depuis les 80′ ?

J’ai vécu l’aventure des biomarqueurs, des récepteurs hormonaux, des ganglions sentinelles. Petit à petit, nous avons pris une place dans les équipes de soins, assisté aux réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP). Les radiologues ont compris que nous avions besoin d’imagerie pour nos analyses en complément du microscope. Nous avons montré aux cliniciens à quoi ressemblait ce qu’ils avaient retiré. La spécialité est entrée progressivement dans la clinique.

Je dis souvent à mes étudiants qu’un cardio-rythmologue ne peut pas faire de diagnostic sans ECG. De même, un cancérologue ne peut pas faire de diagnostic sans anapath. C’est la pierre angulaire. Le bon diagnostic passe par l’analyse exacte des biomarqueurs.

Cela me rappelle un article paru il y a une vingtaine d’années « l’anapath n’est pas un chien de chasse » Aujourd’hui, nous recevons une étiquette avec un code barre avec la date de naissance et le sexe et en général de bons éléments de l’histoire clinique. Beaucoup de cas sont également discutés en RCP préchirurgicale. Mais avant, nous recevions un prélèvement avec juste marqué « utérus »….

Les débuts de l’immunohistochimie et l’avènement de la biologie moléculaire ont été deux évolutions qui ont confirmé la nécessité de la collaboration avec les biologistes. L’évolution récente est l’intelligence artificielle qui va nous aider pour des tâches pénibles de comptage des signaux pour réaliser des scores ou des grades. Pour un cas, cela nous prend beaucoup de temps au microscope. Et au bout de trois heures dans notre bulle à regarder les lames, nos yeux sont fatigués…

L’IA va nous aider notamment dans les formes très peu différenciées, complexes et nous orienter vers un diagnostic. Dans 40 ou 50 ans, nous irons peut-être plus loin. A peine la lame sur le microscope, grâce à la quantité d’images accumulées, l’IA permettra d’identifier avec précision le potentiel évolutif des lésions précancéreuses du sein, pour lesquelles nous avons des images particulières difficiles à analyser. Dans les millions d’images, compilées avec les données d’évolution de milliers de patientes, l’ordinateur trouvera des corrélations, facilitera un diagnostic très précoce au bénéfice des patientes. Les anapaths auront un rôle majeur à jouer pour « éduquer » l’IA.

La science et la recherche avancent ! Je n’ai jamais regretté un instant d’avoir choisi cette magnifique spécialité !

 

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