Interview d’Emmanuel Le Poul, pharmacien-adjoint, Pharmacie Internationale, Saint-Genis-Pouilly (01)

 

Où en est l’accessibilité des kits en pharmacie ?

En cette veille de nouvelle campagne de Mars Bleu, les kits de prévention ne sont malheureusement toujours pas disponibles en pharmacie de ville. Des expérimentations sont toujours en cours dans certaines régions de France, d’autres sont terminés. Elles ont toutes montré que le pharmacien était un levier à actionner pour faire monter le taux d’accès au dépistage de la population des 50-74 ans, taux qui reste encore trop faible au regard des 17000 morts par an. Ce qui est rageant est que s’il est détecté tôt, le cancer colorectal se guérit dans 9 cas sur 10 !


Pouvez-vous rappeler les recommandations de l’Institut National du Cancer ?

L’INCA organise la prévention et le dépistage du cancer colorectal grâce à un test immunologique rapide et efficace qui est à faire chez soi. Ce test s’adresse aux femmes et aux hommes, âgés de 50 à 74 ans, invités tous les 2 ans à parler du dépistage du cancer colorectal avec leur médecin. Ce dernier vérifie par un questionnaire si son patient ne présente pas de risque particulier nécessitant un suivi adapté (le médecin ne remet pas obligatoirement le kit), puis lui remet le test de dépistage à faire chez soi. Le risque de développer un cancer colorectal est principalement lié à l’âge et/ou à l’existence d’antécédents personnels ou familiaux de certaines maladies intestinales chroniques ou de prédispositions génétiques particulières.

 

Où peut-on obtenir un kit de dépistage ?

Jusqu’à aujourd’hui, les personnes entre 50 et 74 ans sont invitées par un courrier émanant du centre régional de coordination des dépistages des cancers, tous les deux ans, à consulter leur médecin traitant afin qu’il leur remette un test de dépistage, cette enveloppe bleue que l’on identifie bien maintenant. Ils peuvent également obtenir un kit de dépistage, sans attendre la lettre d’invitation, à l’occasion d’une consultation chez le médecin traitant, le gynécologue, le gastroentérologue et les médecins exerçant dans un centre d’examen de santé de l’Assurance maladie. Le pharmacien ne fait pas partie des professionnels de santé du dispositif. Le pharmacien doit tout de même participer et discuter avec ses patients pour savoir s’ils font régulièrement le test et les inciter le cas échéant. Il doit pouvoir appeler les médecins traitants alentour pour les encourager à se procurer et à distribuer le kit.

 

Que se passe-t-il à partir d’aujourd’hui 1er mars 2022 ?

Les choses bougent dans le bon sens ! Le Dr Catherine Exbrayat, médecin coordinateur du programme Sein & Colorectal Site Isère & Drôme-Ardèche et Référent Régional programme colorectal au Dépistage des cancers Auvergne Rhône Alpes – CRCDC AuRA m’a informé qu’à compter du 1er mars, les personnes ciblées vont être invitées à utiliser un numéro d’invitation qui figurera sur le courrier envoyé par le CRCDC pour commander le kit en ligne sur le site https://monkit.depistage-colorectal.fr/#/accueil. Un questionnaire déterminera si ce test est approprié en fonction de l’histoire personnelle et familiale de la personne. Si c’est le cas, le test sera envoyé au domicile de la personne.

C’est autour du Dr Exbrayat qu’une double émission avait été organisée sur Pharmaradio en mars 2021 pour le lancement de Mon Réseau Cancer Colorectal et de l’enquête sur l’accès au kit dont les premiers résultats étaient dévoilés. Les deux postcasts sont toujours d’actualité puisqu’ils parlent du parcours patient, du dépistage et de la prévention et je vous invite à les écouter.

 

Du nouveau à prévoir chez les pharmaciens ?

Les choses bougent positivement également car la négociation entre les syndicats des pharmaciens officinaux et l’Assurance Maladie autour de la nouvelle convention pharmaceutique 2022-2027 devrait permettre la délivrance du kit pour le premier semestre 2022 dans les officines, c’est une information de la semaine dernière donc toute fraiche ! Des questions techniques de mises en place de ce dispositif ainsi que la rémunération définitive du pharmacien restent à définir : les premières informations faisaient part d’une rémunération de 5 euros pour conduite d’un questionnaire et remise de kit pour les personnes éligibles. Le pharmacien sera chargé également d’orienter les personnes vers leur médecin traitant une fois l’examen réalisé. A priori il n’y aura pas de collecte des enveloppes bleues à la pharmacie comme cela peut se faire dans certains pays, les enveloppes sont envoyées directement par la personne sans frais de port.

 

Dans le contexte actuel, quel peut être l’accueil de cette mesure pour le pharmacien de ville ? 

Nous sommes clairement en décrue de COVID même si nous avons encore des cas au comptoir. L’activité a baissé depuis dix jours et le temps passé pour la réalisation des tests antigéniques et même pour la vaccination anti-covid est épargné. La demande des autotests pour les parents d’enfants cas contact ou pour les enseignants s’est effondrée. Nous avons donc retrouvé un temps pharmacien de qualité et il faut vite rebondir en retrouvant les réflexes de notre métier articulé autour du corpus prévention, protection, information et services.

Gageons que les confrères pharmaciens ont gardé de l’élan et que les équipes pourront très vite se mobiliser sur ce grande thématique Mars Bleu, même si la déception de ne pas pouvoir déjà distribuer le kit est grande chez certains. Il faut mesurer d’où l’on part et apprécier que la crise de la Covid-19 a permis aux autorités sanitaires et politiques de mesurer l’impact du réseau officinal dans la santé publique. En conséquence, il parait judicieux d’associer concrètement les pharmaciens dans la politique de dépistage et de prévention.

 

Plus largement, quelle est l’implication des pharmaciens dans la prévention et le dépistage des cancers en général ?

Côté dépistage, il faut nous donner outils et moyens. Le cancer colorectal sera un premier test simple à activer et à mesurer. Nous avons fait bondir la couverture vaccinale antigrippale saisonnière, nous ferons de même avec les chiffres des personnes se faisant dépister pour le cancer colorectal. Pour les autres cancers, les approches restent la prévention par l’information et la formation (il faut développer l’information à l’alimentation-santé qui protège des risques de développement de cancer et en même temps celle de l’activité physique adaptée). Également promouvoir la vaccination anti-HPV et même pouvoir effectuer la vaccination à l’officine.

Enfin, il faut massivement soutenir le décollage des entretiens pharmaceutiques oncologiques conventionnels qui sont mal partis car lancés en début de pandémie et inciter les pharmaciens à s’intéresser aux deux expérimentations Article 51 pour le suivi de la dispensation en ville des chimiothérapies orales et le suivi de l’immunothérapie. Il ne s’agit pas directement de prévention primaire mais le pharmacien a un rôle encore sous-estimé à jouer dans l’équipe de soins pour accompagner au quotidien le patient en début ou en fin de parcours de maladie.

Le rôle de sentinelle du pharmacien pour surveiller la survenue des effets secondaires qui pourraient interrompre le traitement et donc constituer une perte de chance pour le patient est atteignable. Il faut par contrer se mobiliser et se former pour monter en compétences. Et si l’on profitait de ce trou d’air d’activité pour lancer de grands projets porteurs de sens pour les équipes ?

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